Les premiers moulins à papier en Savoie
L'importance stratégique du Comté, puis du Duché de Savoie justifie l'implantation des premiers moulins à papier. En effet, la Savoie était le territoire de passage obligé pour les marchandises venant d'Orient, et débarquées à Venise ou à Gênes. Le passage des marchands vers le reste de l'Europe se faisait tout naturellement par le Piémont, province de Savoie, les cols du Mont Cenis ou du Grand-Saint-Bernard, et ensuite la vallée de la Maurienne vers la Suisse, l'Allemagne ou la France.
Les Princes de Savoie étaient considérés comme les "Portiers des Alpes", véritables douaniers qui percevaient au passage les droits. Une de ces routes, très ancienne voie romaine, passait par Plancherine, le col de Tamié, Faverges, Annecy et ensuite allait vers le nord à Genève.
L'Abbaye cistercienne de Tamié fut fondée en 1132 selon les instructions de Saint Bernard, dans un lieu propice au recueillement et à la méditation. L'existence de l'Abbaye fut un élément déterminant pour la fréquentation de la route du col et pour la sécurité qu'elle offrait aux voyageurs.
Les moines avaient créé, pour subvenir à leurs besoins, divers moulins à battre le fer, à moudre le blé, à faire l'huile de noix ou battre le chanvre, dans ce qui devint le "vallon industriel" dépendant de l'Abbaye, et dont les rivières coulent vers Faverges.
On peut penser qu'un de ces moulins fut albergé, dans le milieu du XIVe siècle, à un maître papetier de Fabriano, dans les Appenins, où au siècle précédent le premier moulin à papier avait été créé en Occident. Ce premier maître papetier modifiera les "artifices" du moulin pour en faire un moulin à papier, compte tenu de la qualité des eaux et de leur abondance
Sa motivation a été très certainement d'éviter les frais et les risques du long et périlleux voyage de Fabriano jusqu'aux foires de Champagne où il se rendait régulièrement. La Savoie était située idéalement pour fabriquer et vendre son papier, non seulement en Savoie mais aussi en France et à Genève proche.
D'autres moulins vont ensuite se créer, à Faverges, puis à Cran près d'Annecy, à Aranthon, à Thonon, à Bourdeau puis à la Serraz et au "Bout du Monde "à Saint-Alban-Leysse, près de Chambéry. D'autres moulins apparaîtront aussi dans la Vallée du Grésivaudan, vers Grenoble.
Il est important de savoir que l'implantation de tous les moulins à papier suit les mêmes règles. Il faut un endroit facile d'accès pour les charrois, une rivière avec des eaux abondantes toute l'année, et surtout des eaux pures et cristallines, exemptes de calcaire. C'est d'ailleurs pour la qualité de ses eaux que la papeterie de Leysse tirera la renommée de ses productions.
L'exigence de pureté des eaux explique que les moulins à papier s'établiront en amont des villes plutôt qu'en aval, pour éviter les rejets divers d'une population nombreuse. Par contre, le proximité des villes sera nécessaire pour collecter un maximum de matière première, les chiffons de fibres végétales, le lin et le chanvre, indispensables pour la fabrication du papier. La proximité des villes est également souhaitable pour écouler la production des moulins.
Le moulin de Faverges
C'est le milieu du XIVe siècle et deux sources manuscrites mentionnent en effet dans les années 1350-1352 l'existence d'un moulin à papier à Faverges.
Dans les environs du bourg existaient déjà des moulins exerçant diverses industries comme le travail du fer, ou la fabrication de la farine de blé. Il y avait également des forges pour le cuivre et le fer, ainsi que des ateliers de coutellerie. On sait d'ailleurs que la dénomination de Faverges est issue du latin "fabricares" fabriques. On peut toutefois penser, bien que nous ne possédions pas, à l'heure actuelle, de traces écrites, que ce moulin est bien plus ancien, fondé plutôt vers 1326-1328 par un maître papetier de Fabriano,
Les documents au sujet de ce premier moulin dis-paraissent ensuite jusqu'au XVIIe siècle, où le sieur Barfelly mentionne en 1635 quatre moulins à papier dans la région de Faverges. Il semble que ces papeteries soient situées, outre celle de Faverges, à Saint Ferréol, à Viuz et au village de Vézenaz. Ces moulins étaient renommés pour la qualité du papier qui y était fabriqué. Tous ces moulins vont disparaitre à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.
Le moulin du "Bout du Monde" à Saint-Alban Leysse
La Leysse, rivière qui prend sa source près du col Plainpalais (1173 m), s'enrichit de nombreux ruisssaux tout au long de son parcours. Avant de traverser Chambéry et de se jeter dans le Lac du Bourget, la rivière reçoit, à certains endroits, des ruisseaux aux noms évocateurs : "le Trou de l'Enfer'', "le Bout du Monde". C'est dans ce dernier site, appelé aussi autre-fois "le Cul du Monde", que la Leysse reçoit les eaux de la Doriaz, que se dressent encore aujourd'hui les bâtiments d'une fabrique de papier dont les origines remontent au XIIIe siècle.
C'est juste à la confluence des deux torrents que le moulin à papier a ses roues hydrauliques. Un canal fut même aménagé pour alimenter plusieurs moulins en aval de la papeterie. Cette entreprise va acquérir dans le temps une forte renommée, et encore de nos jours les riverains se souviennent de l'utilité première des bâtiments désaffectés, plus de soixante ans après sa fermeture.
Ce renom, la papeterie le doit à deux principaux facteurs. D'abord, à la qualité de ses eaux, et notamment des sources suintantes des rochers utilisées pour l'apprêt de la pâte à papier. Ensuite, le deuxième facteur est le fait que tous les grands noms de la papeterie savoyarde, et même française, l'ont un jour exploité : les Caprony, célèbre dynastie papetière, qui a exploité pendant près de trois siècles des moulins à papier à la Serraz, au Bourget-du-Lac, à Leysse et à Thonon, un Montgolfier et un Aussedat.
La présence de ces éminents personnages montre l'importance de cette industrie dans l'histoire de la papeterie savoyarde.
Si les noms des premiers fondateurs de la papeterie, vers 1350, ne sont pas encore connus, c'est qu'une importante partie des archives sardes ont été transférées à Turin, et que ces informations ne nous sont pas encore parvenues.
Par contre, nous retrouvons vers 1610, le nommé Hercule Caprony, marchand papetier à Leysse, et ensuite son fils Antoine qui, en 1697, exploite le moulin qui est la propriété alors d'une famille bourgeoise de Chambéry, les Maniot. Ils vont la vendre en 1726 à Claude Rosset, papetier dauphinois, qui la cèdera ensuite en 1748 à Jacques Roulier, bourgeois de Chambéry.
Celui-ci vendra ensuite son affaire, en 1751, à Georges Le Bon, papetier natif d'Ambert, vallée papetière d'Auvergne renommée pour le nombre de ses moulins et la qualité de ses papiers. A la mort de Georges Le Bon et à la suite de diverses alliances, c'est une certaine Demoiselle Barbe qui en devient propriétaire. Elle vend ensuite, le 1er août 1779, au sieur Maurice-Augustin Montgolfier, natif d'Annonay, autre site papetier important, pour le prix de 3.400 livres et 13 louis.
Les Montgolfier vont s'illustrer dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par diverses découvertes : recherches sur la coloration de la pâte, fabrication des premiers velins français et des premiers papiers calques, installations des premiers cylindres hollandais, sans oublier l'invention des aérostats, les ballons à air chaud en papier et toiles, dont le premier s'élèvera à Annonay le 5 juin 1783.
Quand Maurice-Augustin Montgolfier arrive à Leysse, les bâtiments et matériels sont presque tous ruinés. Dans l'esprit d'initiative qui caractérise sa famille, il va investir près de 20 000 livres pour remonter les bâtiments et les installations, misant sur les marchés suisses et genevois pour écouler ses produits.
Montgolfier va être très actif, cherchant à obtenir de nombreux privilèges pour son entreprise. Ses initiatives vont donner un essor considérable à la papeterie.
Par la suite, Montgolfier ne s'occupera plus directement de l'entreprise. Augustin Aussedat, avec sa femme et ses trois enfants, arrive d'Annonay le 12 décembre 1785. Ils vont rester au moulin de Leysse jusqu'en 1844. Les Aussedat développeront leurs affaires à Faverges, mais surtout à Cran où ils finiront par concentrer leurs efforts et leurs capitaux.
Par contrat du 22 juillet 1788, Montgolfier vend la papeterie à Aussedat.
En 1844, Guillaume Forest, ancien sénateur et ancien président de la Chambre de Commerce de Chambéry, acquiert la papeterie, dont il confie la direction à Antoine Basin, gendre des Aussedat. La papeterie qui marche fort bien en 1857, occupe en 1863 cent cinquante ouvriers. L'entreprise réussira à passer le tournant de l'annexion de 1860, fatale à tant d'entreprises artisanales. Il faut dire que Forest a su adapter sa fabrique aux nouvelles techniques de fabrication.
En 1875, l'usine a bien évolué, ayant su franchir la transformation des techniques. Elle emploie deux turbines de trente chevaux, et huit roues hydrauliques variant de quatre à cinq mètres de diamètre, donnant ensemble une force de vingt cinq chevaux.
La papeterie de Leysse ne fait que des papiers blancs pour papier à lettres, registres et impressions. C'est elle qui fournit le papier sur lequel est imprimé la "Revue des Deux Mondes", fondée à Paris par le Savoyard Buloz.
En 1888, l'entreprise appartient toujours à la famille Forest. C'est Charles Forest qui la dirige. La société des Papeteries de Leysse passe ensuite au groupe Outhemin-Chalande, qui plus tard sera absorbé par les Papeteries de France.
En 1941, la papeterie est sur le déclin et ne produit plus que quelques centaines de tonnes annuelles de papiers fins, dont le célèbre "Bambou Leysse", et n'occupe plus que 38 personnes. Le 4 août 1942, l'usine est définitivement fermée. C'est la fin de la fabrication du papier à Leysse...
La papeterie de la Leysse au milieu du XIXe siècle
(J. Dessaix, La Savoie historique et pittoresque)
Le moulin à papier de Cran
Dans l'histoire de la papeterie, de Cran, il y deux grandes périodes : la première, celle de la création vrai¬semblable d'un premier moulin à papier à la fin du XIVe siècle et qui fonctionne jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, et la deuxième, qui va être celle de l'installation des Aussedat avec une seconde implantation au bord du Thiou, et qui va prospérer jusqu'au XXe siècle.
Il apparait que c'est en 1395 qu'un Lombard nommé Burin obtient l'autorisation d'implanter un moulin à papier sur les bords du Thiou. Il semble que deux moulins à papier, exploités par Nicolas Guirandon et Gérard Guinet, existaient en 1433-1434. On constate aussi que les rives du Thiou abritent de nombreux moulins autres que ceux fabriquant du papier, grâce à la puissance hydraulique, la pureté et l'abondance de l'eau issue du Lac d'Annecy.
Après presque deux siècles de fonctionnement, on trouve en 1614 un certain Pierre Verdel, papetier à Cran. Puis Maurice Chevalier, né à Frontenex, enseveli à Gevrier le 11 septembre 1688. En 1665, un maître papetier appelé Jacques Dubouz est présent à Cran. En 1665, Jean Gural a succédé à Jacques Dubouz à la tête du moulin. Ce Jean Gural est originaire de Vésonne, un village proche de Faverges, où il exploitait un moulin avec son frère Maurice en 1680. Ce qui confirme bien qu'il existait des échanges entre les papetiers de Cran et de Faverges. Nous verrons aussi qu'il existait aussi des relations avec la papeterie de Leysse. Afin de conserver la maîtrise des moulins, un monde très fermé, les familles de papetiers mariaient souvent leurs enfants entre eux.
Le cadastre de 1730 nous confirme qu'à cette date le moulin appartient toujours à la famille Dubouz. Quelques années plus tard, la fabrique va changer de propriétaire. Charles Bozon, de Voiron en Dauphiné, achète le moulin le 20 mars 1734. Il n'en restera propriétaire que 7 années, puisqu'il le vend à son tour à Joseph Melchior Garbillon
Puis en 1771, les héritiers Garbillon cèdent leurs droits au maître papetier Pierre Torillon, de Saint-Jean de Moirans en Dauphiné, qui va décéder à l'automne 1771. Mais le moulin, faute d'entretien, va se dégrader au fil des années, jusqu'en 1798 où pratiquement en ruine, il va s'arrêter définitivement. Une tentative de le transformer en fabrique d'armes échouera.
La dynastie des Aussedat
Les Aussedat sont des papetiers qui travaillent chez Mongolfier et Johannot, les deux plus importants fabricants de papier au XVIIe et XVIIIe siècles.
On a vu précédemment que Augustin Aussedat exploitait déjà le moulin de Leysse en 1788, où il l'avait acheté à Montgolfier. Ils sont également présents à Faverges en 1811. Il semblerait que cette famille soit originaire de la région d'Ambert, vallée papetière importante où il existe depuis le XIVe siècle de nombreux moulins fabriquant un papier de qualité.
Le moulin créé en 1807 par Augustin Aussedat pour son fils Alexis, n'est pas sur le même site que l'ancien, qui se trouve plus en aval. Il va transformer le site de l'Hospice des Incurables, appartenant au Monastère de la Visitation. En 1812, le moulin occupe déjà 12 ouvriers, et il est question d'y installer un cylindre à la hollandaise, comme les Aussedat l'avait déjà fait à Leysse précédemment.
L'entreprise va se développer fortement, et, à la mort d'Alexis Aussedat, ses fils lui succèdent. En 1846, Jean-Marie Aussedat reste seul à la tête de l'entreprise, qui avait abandonné la fabrication à la main pour la mécanisation, avec l'installation d'une première machine à papier en continu en 1842. Une autre machine plus grande sera mise en route vers 1850, assurant l'avenir de l'établissement.
Après l'Annexion, la papeterie connaîtra des difficultés, comme beaucoup d'autres. mais elles seront surmontées à Cran, et elle va continuer à se développer, avec de nombreux investissements techniques au fil des années.
En 1913 est fondée la Société Anonyme des Papeteries Aussedat, avec à sa tête Joseph Aussedat, qui succède à la Société Aussedat et Cie (entre 1904 et 1913). En 1914, on installe une troisième machine à papier. La production ralentira pendant la guerre, mais la paix revenue, elle reprendra.
En 1955, la papeterie possède trois machines à papier et va mettre en route le machine numéro cinq en 1959. Il y a maintenant 250 ouvriers, 300 en 1960, avec une production de l'ordre de 25 000 tonnes de papier. La production est de 38 200 tonnes en 1992.
Les Aussedat ont été les dignes héritiers des maîtres papetiers installés au XIVe siècle sur le Thiou. La vie de l'art papetier dans cette commune périphérique d'Annecy, est longue de six siècles presque sans interruption, ce qui est exceptionnel dans l'histoire du papier en Savoie.
Malheureusement, cette belle et longue histoire s'arrêtera au mue siècle, la production le 3 mai 2006 et la fermeture totale administrative le 29 novembre 2007. Le site industriel séculaire de Cran va disparaître, vaincu par la crise internationale des groupes papetiers.
Le moulin de Bourdeau
Le château, au bord du Lac du Bourget, qui existe toujours de nos jours, remonterait au XIe siècle et était une possession des Sires de Seyssel.
Il a existé un moulin à papier à Bourdeau. Il se trouvait situé à l'extrémité aval du territoire de la commune, sans doute sur les ruisseaux descendant des sources du Gerle ou du Pisset.
Mais sa durrée de vie sera très brève, 70 ans. Son activité sera peu importante, peu comparable avec les autres moulins proches de La Roche-Saint-Alban et la Serraz.
La preuve formelle de l'existence de ce moulin date de 1865, où l'enquêteur François Béget atteste que l'établissement remonte seulement à 1810. Il changera de propriétaire en 1847.
Les premières traces apparaissent en 1819 où l'on apprend qu'une papeterie fonctionne à Bourdeau et qu'elle est la propriété du sieur Blasard. En 1829, elle appartient à un certain Blaffard. Mais c'est certainement le même personnage, l'écriture des s et des f prêtant souvent à confusion dans les anciens documents.
C'est en 1847 que Joseph Girod rachète le moulin à Blaffard, et en 1860 cette famille exploite toujours le moulin, sans aucun ouvrier, ce qui montre bien le peu d'importance de la production.
En 1873, on constate que la papeterie emploie quatre hommes en hiver et trois femmes. La production est de 775 kgs de papier, production qui semble faible. Mais elle est fortement concurrencée par les moulins de la Serraz, proches, et qui sont beaucoup plus productifs.
De plus, la famille Girod, avant de reprendre le moulin de Bourdeau, avait restauré un des moulins à papier de la Serraz. Pendant l'été de 1873, la famille Girod va transporter le matériel de Bourdeau à son autre moulin de la Roche Saint-Alban. Ce déménagement va marquer la fin de l'existence du moulin à papier de Bourdeau.
Les moulins de la Roche Saint-Alban et de la Serraz
Il semblerait que le premier moulin à papier ait été construit par un nommé Sébastien Caprony (orthographié aussi Caproni ou Caperoni), au milieu du XVIe siècle, vers 1561. On trouve en effet le premières traces de cette famille illustre de maîtres papetiers savoyards dans les registres paroissiaux du Bourget en 1599, date du mariage de Sébastien Caproni avec Gabrielle Pomaris. Vu leur nom à consonance italienne, on peut penser, bien qu'il n'y ait aucune preuve historique, que cette famille de papetiers expérimentés viennent des sites papetiers de Fabriano ou de Gênes. L'année suivant le mariage, va naître Jean, le 29 mai 1600.
C'est le début de la longue dynastie des Caprony, maîtres papetiers à la Serraz, mais que l'on retrouvera aussi à la tête de la papeterie de Leysse à la fin du XVIIe siècle. Leur longue histoire est jalonnée de leurs marques de fabrique, les filigranes, qui sont les marques que l'on trouve à l'intérieur des feuilles de papier, et qui permettent de trouver la trace des fabricants.
Cette famille va fonder et faire fonctionner plusieurs moulins à papier à la Roche Saint-Alban et à la Serraz, hameaux de la commune du Bourget. Le premier moulin appelé parfois Moulin-le-Bas, se trouvait à gauche du chemin qui va du village au château, juste avant le pont sur le Varon, qui alimentait sa roue. Le deuxième moulin était proche du précédent. Le troisième moulin à papier fut construit sur le plateau supérieur, au hameau de la Roche-Saint-Alban, en amont de la cascade du Varon. Ce moulin était aussi connu sous le nom de Moulin-le-Haut, ou Moulin de la Roche. Il fut celui qui aura la plus longue activité
Pendant presque deux cents ans, les générations de Caprony se succèderont à la tête des trois moulins. Leur histoire, malgré le peu de documents retrouvés, sera connue grâce à leurs filigranes, signature du travail de chaque maître papetier. C'est sans doute la seule histoire papetière en Savoie aussi riche d'une diversité importante de marques faites à l'intérieur du papier. Elles permettent de reconnaître la généalogie de la dynastie papetière savoyarde des Caprony. Le premier filigrane identifié date de 1630, et à partir de cette date, Les filigranes vont se multiplier sur les papiers les plus divers, et à toutes les époques. Le dernier découvert avec certitude date de 1740.
Au début du XVIIe siècle, on trouve à la Serraz André Caprony, ainsi que ses deux frères Louis et Hercule, qui avaient épousé deux soeurs de la famille Janon du Bourget. Mais la famille va se disperser et doit, dès 1637, aller chercher du travail ailleurs. C'est ainsi que Pierre et Jacques Caprony iront créer des papeteries à Divonne, et Antoine, fils d'Hercule, ira au moulin de Leysse.
Par la suite et à partir du début du XVIIIe siècle, le nom des Caprony va progressivement disparaître à cause du nombre important de filles qui va obliger les pères à les marier avec des compagnons papetiers n'appartenant pas à la dynastie.
Le moulin du Haut, ou moulin de la Roche, appartenant à Pierre Caprony qui a émigré à Divonne, va être vendu en 1715 à Louis Caton, compagnon papetier, qui travaillait alors au moulin. Celui-ci est d'ailleurs en fort mauvais état, et Louis Caton va être contraint d'effectuer de lourdes réparations pour le remettre en fonctionnement. Peronne Caton, fille de Louis va se marier en 1717 avec un compagnon papetier natif de Nantua, Antoine Guillot, qui travaille alors au moulin. Finalement, en 1726, Antoine Guillot prendra en main les affaires du moulin.
Pendant tout le XVIIIe siècle, l'histoire des maîtres de ces trois moulins sera étroitement imbriquée, tant les mariages entre filles de maîtres papetiers et compagnons, souvent venus d'autres régions papetières, seront fréquents. C'est ainsi qu'en 1746, trois maitres papetiers exercent leur métier à la Serraz : Georges le Bon, d'Ambert, travaille aux deux moulins du Bas avec Louis Guichard, de la Serraz. Au moulin du Haut, travaille Jacques Charles, natif d'Angoulème.
En 1751, George le Bon déménage au moulin de Leysse, laissant à Louis Guichard, son associé le soin de continuer à exploiter les deux moulins du Bas. Il va d'ailleurs les exploiter longtemps, car il y est toujours en 1765. Par contre, le moulin du Haut est vacant en 1769, et sera mentionné comme ruiné et abandonné en 1779. A la même date, les derniers moulins en activité sont dirigés par la veuve Dacquin, Marguerite Billon, qui va se remarier avec Louis Bazin. A partir de cette époque, les deux moulins du Bas ne feront plus qu'un.
En 1807, la papeterie possède les nouvelles piles hollandaises à cylindres et emploie 15 ouvriers. Entre temps, le moulin du Haut a été reconstruit par M. Deroud. Si bien qu'en 1813, deux papeteries fonctionnent de nouveau à la Serraz. Le moulin du Haut sera racheté par Joseph Girod (ou Giraud), qui avait acheté le moulin de Bourdeau en 1847.
C'est vers 1863 que Joseph Girod installera une ce ces nouvelles machines à papier en continu. Avec l'Annexion, cette fabrique va connaître divers problèmes de débouchés commerciaux et sera contrainte de réduire sa production, le nombre d'ouvriers passant de 35 à 5. Le moulin est devenu une petite industrie, dotée de moyens modernes pour l'époque.
Le transfert en 1874 du matériel du moulin de Bourdeau va occuper 6 ouvriers et en 1884, les deux papeteries en possèdent chacune 5. Et les deux moulins vont mêler leur devenir, devant la faiblesse de leur activité, la papeterie de Cran possédant 100 employés et celle de Leysse près de 70.
Les premières années du XXe siècle verront végéter l'activité, jusqu'au moment où M. Gilbert rachètera la papeterie et et lui donnera le nom de "Papeterie de la Serraz", en revenant à une fabrication de papier de luxe. Puis, à la faillite de Gilbert, en 1932, l'entreprise sera reprise par M.Buchet et sa famille, propriétaires du journal "l'Illustration" à Paris.
En 1943, les "Papeteries de Savoie" sont devenues une société anonyme au capital de 2 millions de francs. Les deux autre papeteries du Bas ont mêlés leur destin à cette société.
Malgré tous les investissements réalisés, cette entreprise fermera ses portes en 1965. Faute de repreneur industriel, les actifs seront vendus, le personnel licencié et les machines dispersées. La longue histoire des papeteries de la Serraz va se terminer.
De nos jours, il ne reste que quelques ruines des moulins du Bas. Quant aux bâtiments de l'usine qui demeurent, ils sont inactifs, quand ils ne tombent pas en ruine.
On peut se demander pourquoi il y a eu, pendant près de 350 ans, un tel centre d'activité papetière en Savoie. Il doit certainement son existence aux volontés farouches et déterminées des premiers maîtres papetiers qui décidèrent de s'installer dans cet endroit superbe de Savoie, riche en eaux abondantes et pures. Ceux qui vont suivre au fil des générations, comme la dynastie de Caprony, et dans d'autres moulins à papier savoyard, les Montgolfier et Aussedat poursuivront leurs efforts.
La papeterie de la Serraz en 1811
(sanguine de Turpin de Crissé)
Le moulin d'Arenthon
Le moulin à papier d'Arenthon, dans le Faucigny, près de Bonneville, est l'un des tous premiers à fonc-tionner dès le milieu du xvie siècle. Malheureusement, très peu de documents à son sujet sont parvenus jusqu'à nous.
Deux actes notariés existent aux Archives de la Haute-Savoie, l'un daté du 26 février 1551, et l'autre du 5 mars 1578. A cette époque, l'exploitant du moulin était soumis à une redevance du propriétaire, le seigneur local. Ce qui arrivait souvent pour les moulins, selon le système des albergements. L'exploitant n'avait donc qu'une propriété relative de son moulin.
Malgré le peu de documents retrouvés, il est néanmoins certain que ce moulin va avoir une existence de près de trois cents ans.
En 1668, il était la propriété de N. César et de Jean Diodati. C'est seulement lors de l'établissement du cadastre de 1730 que l'on aura connaissance de son emplacement exact, sur le torrent du Foron, affluent de l'Arve. L'établissement d'un moulin à papier à cet endroit est peut-être dû à la proximité de Genève, et à la qualité de l'eau, bien que son débit fût irrégulier et que la fabrication dût fréquemment s'arrêter, faute de force motrice.
En 1730, le moulin appartient donc à Etienne Alex, et ses héritiers en sont toujours propriétaires en 1779. Cette famille de papetiers, originaire de la Boisse, en Dauphiné, semble installée à Arenthon depuis la fin du XVIIe siècle. Le cadastre nous apprend que le moulin était une bâtisse assez importante, puisqu'elle mesurait environ 25 mètres sur 15 mètres de large, avec un peu plus de 2 hectares de terres. Sa production était peu importante, et la qualité du papier fabriqué fort médiocre.
En 1776, le moulin appartient à Benoît Alex, et occupe occasionnellement 2 ouvriers. Le papier fabriqué est vendu dans le Duché et à Genève. Il possède 6 piles de 3 maillets et ne fonctionne que 8 mois dans l'année, faute d'eau. Sa production est d'environ 992 rames de papier (une rame = 500 feuilles).
Malgré tous ces aléas de fabrication, le moulin existe tant bien que mal, car il est toujours là en 1819. On voit qu'en 1847 le maître du moulin est Benoît Moiret, qui va d'ailleurs assurer une certaine prospérité à sa fabrique, puisqu'il utilise près de 128 quintaux de chiffons par an et emploie 4 ouvriers.
Comme beaucoup de sites papetiers en Savoie et dans d'autres régions de France, le moulin d'Arenthon ne survivra pas aux transformations techniques du milieu du XIXe siècle. Il va cesser de fonctionner autour de 1850, ne pouvant s'adapter à l'évolution industrielle. Toutefois une dynastie de maîtres papetiers, les Alex, a maintenu l'activité de ce moulin pendant plus de 100 ans.
La papeterie d'Albertville
Cette papeterie a eu une existence très courte. Une société anonyme va se créer en 1838 pour installer une papeterie à l'emplacement probable d'un ancien moulin situé, semble-t-il, sur la rive droite de l'Arly à la hauteur de l'Hôtel de Ville actuel, et à l'initiative d'un dénommé Louis Renglet, auquel était associé le comte Manuel de Locatel.
Cette usine était prévue pour fabriquer du papier fin, dont le marché était le plus rentable. Mais des difficultés vont vite arriver et dix ans plus tard, la famille de Locatel devra verser 30 000 livres aux créanciers de l'entreprise, qui subsistera jusqu'en 1856.
La papeterie de Venthon
Voici une autre papeterie savoyarde qui aura une existence très courte, puisqu'elle va fonctionner seulement pendant à peine 20 ans.
C'est un remarquable entrepreneur, Armand Aubry, qui va, en 1888, construire une centrale électrique près du village de Venthon, grâce à une dérivation du Doron. La puissance de cette installation sera de 700 chevaux, suffisante pour alimenter une usine de défibrage du bois pour la fabrication de la cellulose et l'installation d'une machine à papier ensuite.
L'entreprise d'Armand Aubry va rapidement prospérer, en augmentant la puissance de son installation hydraulique. En 1892, l'usine occupe 100 ouvriers, et son chiffre d'affaires augmente sans cesse. La surface des bâtiments sera portée à 5000 m2 en 1896, avec trois machines et 210 ouvriers.
Mais, compte tenu des contraintes liées au site, qui ne facilitait pas l'expansion des bâtiments ni l'installation de dépendances, Armand Aubry décidera en 1906 de transférer ses installations et fabrications dans la Seine Inférieure, à Croisset-lès-Rouen, un port d'importation de bois et de cellulose.
Armand Aubry va vendre, en 1991, les bâtiments et le site industriel à Paul Girod. Une nouvelle industrie de ferro-alliage et d'aciers spéciaux va voir le jour, qui existe toujours aujourd'hui. Les usines de Venthon et d'Ugine vont prospérer au XXe siècle.
Le moulin à papier de Thonon
L'histoire de ce site papetier très ancien se divise en trois périodes.
La plus ancienne et la plus prestigieuse est le moulin créé par Saint-François-de-Sales en 1609, moulin affermé à un nommé Jacques Vullié par l'Institution de la Sainte Maison de Notre Dame de la Compassion de Thonon, créée en 1599.
Cette maison était une sorte d'Université, avec un centre d'apprentissage pour les ouvriers travaillant les tissus précieux et les soieries, et une imprimerie, dont le premier maître imprimeur fut Marc de la Rue. Il fallait donc du papier pour cette imprimerie, et c'est pourquoi Saint-François-de-Sales fit installer des martinets pour battre les chiffons à l'emplacement d'un moulin d'un autre usage, comme il était courant à cette époque.
Mais certains auteurs pensent qu'il y avait déjà à cet emplacement un moulin à papier datant de 1540 et installé par des papetiers venant de Bâle.
On trouve en 1610, comme maître de la papeterie, un nommé François Vullier (ou Vullié), qui va faire d'importantes réparations. Plus tard, en 1639, il est fait mention d'un Claude Boyer, papetier de la Sainte Maison. En 1650, la papeterie semble fonctionner encore, alors que l'imprimerie a cessé ses activités. Mais les années suivantes, l'activité va péricliter et les bâtiments et artifices du moulin vont tomber en ruine. C'est la fin de la première période de son activité.
Vers la fin du XVIIIe siècle la papeterie va renaître à proximité de Thonon. Il semble que c'est en 1790 que le sieur Maurice Matringe, maître papetier qui a exercé en Suisse et en France, installe son moulin, pour lequel il a demandé un prêt de 2 000 livres à la Fondation de la Maison des Arts de Thonon, prêt qui ne sera pas octroyé, malgré l'intérêt reconnu de cette nouvelle activité dans cette région. Cette deuxième tentative, malgré un succès technique certain, et à cause du manque de financement, va être un échec. Et la papeterie va disparaître.
Il faudra attendre 1920 pour voir une nouvelle papeterie s'installer à Vongy sur la rive droite de la Dranse, à l'initiative de la Société des Établissements Braunstein, fabricant du papier à cigarettes Zig-Zag. Dès le départ, l'entreprise se spécialise dans les papiers minces et les papiers à cigarette, utilisant pour cela des fibres longues issues des chiffons de chanvre. Elle va se développer, et. malgré des difficultés qui seront surmontées en 1960, l'entreprise comptera 487 employés en 1980.
C'est en 1987 que Vincent Bolloré va l'intégrer dans son groupe et elle deviendra la Papeterie du Léman Bolloré-Thonon. Elle occupera en 1992, 360 employés.
A l'heure actuelle, cette entreprise est la dernière papeterie encore en activité en Savoie, avec celle de la Rochette, spécialisée dans la fabrication du carton, propriété du groupe canadien Cascades.
La cartonnerie de la Rochette
Une première tentative de construction d'une papeterie va avoir lieu à Détrier, à quelques kilomètres de la Rochette, dans les années 1870-1874. Mais ce projet, finalement, ne verra pas le jour, malgré toutes les facilités offertes par la commune.
Par contre, les travaux vont commencer le 12 juillet 1872, pour établir une fabrique de pâte à papier sur le torrent le Joudron, à l'initiative de MM. Henry et Magnificat, qui sont des industriels de Pontcharra. Il existe d'ailleurs à Pontcharra, localité de l'Isère proche, la papeterie de Moulin-Vieux. La nouvelle usine va ainsi perpétuer la tradition papetière de tout le Grésivaudan.
Sur le site de Fourby où l'on s'installe, existe un canal d'amenée d'eau du Joudron, alimentant les martinets des forges qui travaillaient déjà au début du XVIIIe siècle. En décembre 1873, la fabrique occupe 16 ouvriers qui produisent 3 à 4 tonnes de pâte par jour, et utilise les techniques du système de production mis au point par Aristide Bergès.
En 1880, le nombre d'ouvriers est de 20 et les associés sont toujours Henry, Baily et Magnificat. 1881 va voir l'arrivée de Maurice Franck, qui va s'associer avec Henry. Maurice Franck possède déjà une usine à papier à Paris, et compte l'alimenter avec la pâte faite à la Rochette. Rapidement, Maurice Franck rachètera les parts d'Henry et deviendra le seul propriétaire de l'usine, ayant formé la Société Franck et Cie.
L'année 1896 est un tournant, Maurice Franck va construire sur le site une fabrique de carton, et fonde, en avril 1896 "la Société des Cartonneries de la Rochette", qui aura son siège à Paris. L'usine s'agrandit d'année en année, et en 1921, elle occupe 61 ouvriers. La politique de Maurice Franck, pour faire son carton, sera de tout produire : son électricité, une partie de sa matière première par l'achat de 7 000 hectares de la forêt de Saint-Hugon, et la récupération des déchets de scieries, nombreuses à cette époque.
Fidèle à sa politique, il va créer également une fabrique de caisses, avec une machine à onduler le carton, des coupeuses et des machines à imprimer. La société ne cesse de s'agrandir, avec la reprise de plusieurs usines et en 1948, de la société Cenpa et Weibel.
En 1954, l'usine de la Rochette est devenue un complexe industriel important. qui occupe 645 personnes, et en 1956 un laboratoire de recherche pour toutes les usines du groupe est installé à la Rochette. Il y aura d'autres acquisitions, et des investissements importants jusqu'en 1976 où l'usine compte 860 employés. Le groupe la Rochette-Cenpa représente alors 7780 personnes, 17 usines dont deux en Savoie (la Rochette et Saint-Rémy).
En 1985, Pierre Franck, petit-fils de Maurice Franck, va prendre la responsabilité de l'usine, le groupe la Rochette-Cenpa ayant déposé son bilan. Mais ce sont finalement les frères Lemaire, Canadiens du Québec, fondateurs du groupe Cascades en 1964, qui vont reprendre le site et ses 394 employés, la caisserie restant dans le groupe la Rochette-Cenpa.
Entre 1985 et 1992, ce sont près de 400 millions de francs qui ont été investis par Cascades pour moderniser l'outil de production.
A l'heure actuelle, cette usine existe toujours sur le même site historique des débuts. Avec la papeterie Bolloré à Thonon, c'est la dernière usine à papier existante en Savoie. Apparue au XIXe siècle, ses dirigeants successifs, malgré les difficultés, ont su faire évoluer l'entreprise et la moderniser sans cesse au fil de son histoire. Actuellement, et grâce au groupe Cascades, elle est même devenue une des plus importantes cartonneries d'Europe.
La cartonnerie de la Rochette au début du XXe siècle
La papeterie de Modane-Fourneaux
A la fin des travaux de percement du tunnel ferroviaire du Fréjus, les bâtiments construits par Germain Sommeiller pour abriter les compresseurs servant aux travaux du tunnel vont être désaffectés. L’État français, devenu propriétaire des installations, décida de les vendre en 1876, lors d'une vente publique, à un entrepreneur. M. Segon. Cette usine est déjà alimentée par l'Arc, et capte aussi les eaux du Charmaix.
Mais en 1883, les bâtiments deviennent la propriété de MM. Louis Matussière, fils d'Amable Matussière, et Forest, son beau-frère. Entre 1885 et 1886, des travaux vont être entrepris et l'usine transformée en fabrique de pâte à papier. Elle va prendre le nom de "Papeterie du Mont-Cenis".
Amable Matussière est originaire du Cantal. Il s'est occupé de soieries à Saint-Etienne et à Lyon. En 1856, il exploite une scierie à Domène, dans le Dauphiné, et va faire équiper par Bergès une chute d'eau à Lancey. C'est pourquoi il est intéressé par l'usine de Fourneaux.
La production ne va cesser de croître jusqu'en 1891, et est essentiellement vendue en Italie. Mais d'importants problèmes commerciaux vont survenir avec les marchés italiens, et les dirigeants de l'usine vont décider d'installer une première machine à papier pour écouler la production de pâte mécanique, une deuxième machine étant installée en 1893.
Les aménagements vont continuer, avec l'installation d'une scierie et de nouvelles turbines. La production augmente, elle est de 299.300 kg de papier en octobre 1894, et l'usine compte 85 ouvriers. Elle en compte 120 en 1896, à la fin du XIXe siècle.
1900 constitue un tournant important. La société Matussière et Forest va transférer de son usine de pâte chimique de Domène, le matériel nécessaire à la fabrication de la pâte au bisulfite, ce qui améliore grandement la qualité de la production de l'usine de Modane. Elle va se spécialiser dans la fabrication de papier d'emballage et de papier journal.
Les années qui vont suivre verront l'établissement prospérer, grâce à son autonomie en approvisionnement de bois, à la force motrice et même au charbon pour les chaudières avec la mine du Charmaix dont la société est propriétaire. Pendant la guerre de 1914-18, l'usine stagne, mais survit. Il y aura environ 200 personnes dans les années 1950. En 1955, la fabrication de la pâte mécanique est arrêtée, au profit de la pâte chimique, de meilleure qualité, qui lui permettra de s'orienter vers des papiers de haut de gamme qui assureront sa renommée. La papeterie s'appelle alors, et depuis 1932, la "Papeterie de Modane".
Cette usine deviendra la maison mère du groupe, qui compte, en 1979, cinq papeteries dans toute la France pour 300.000 tonnes de production et un effectif de 1 200 personnes.
Mais la concurrence étrangère qui sévit dès 1980, ainsi que la crise qui touche les entreprises, ne vont pas épargner la société Matussière et Forest, qui fermera les portes de l'usine de Modane en 1993.
Un des plus beaux fleurons papetiers de la Savoie disparaissait.
La papeterie de Modane en 1914
La papeterie de Saint-Rémy en Maurienne
Voilà un autre exemple d'une papeterie savoyarde dont la vie sera relativement courte.
Cette fabrique de pâte mécanique est fondée le 1er octobre 1872 par François Horteur et dirigée par un certain A. Allioud. Elle se trouve à Saint-Etienne-de-Cuine, sur le site d'un haut fourneau, créé en 1838 et qui a périclité, au lieu-dit La Tour. La rivière qui alimente la turbine est le Glandon. En 1875, l'usine emploie 9 personnes.
Mais elle va être rapidement déménagée, à cause des médiocres possibilités d'expansion du site. Elle est installée vers Saint-Rémy, où François Horteur va construire une nouvelle usine sur le torrent de Lescherette, venu du Pic du Frêne dans le Massif des Belledonnes.
Cinquante six personnes y travaillent à la veille de la Grande Guerre. En 1920, l'établissement entre dans la société des usines Horteur, société anonyme au capital de 330 000 francs.
La société Horteur va rencontrer des difficultés avec la concurrence étrangère, et les matières plastiques qui arrivent sur le marché. Les descendants du fondateur vont louer la fabrique de pâte aux Papeteries de Savoie, dont l'usine était à la Serraz, et selon un système de location-vente.
L'entreprise va également approvisionner l'usine des Cartonneries de La Rochette
L'arrêt, en 1965, des Papeteries de Savoie, va obliger cette usine à fermer ses portes. La cartonnerie de la Rochette va la racheter et remettre en route la fabrication de pâte six mois plus tard. Mais, avec le développement technique de l'usine de la Rochette, celle de Saint-Rémy deviendra obsolète et le 30 juin 1979, elle va fermer définitivement ses portes.
Cette usine a été l'exemple typique des installations créées en Savoie avec l'apparition de la houille blanche et de l'électricité, au XIXe siècle. Mais de multiples problèmes, notamment de transport ont eu raison de son existence.
Le moulin à papier de Saint Gingolph
Ce moulin à papier aurait été fondé dans la première moitié du XVIIIe siècle, avant 1712, sur la rivière la Morge, entre le pont de Saint-Gingolph et le lac Léman, par Christian Tornery, qui va léguer ses biens à Etienne Denvaz. Le fils d’Étienne, Joseph, puis son petit fils Charles vont exploiter à leur tour le moulin. En 1773, la famille Derivaz va vendre l'affaire à un certain Dignat ou Pignat, valaisan, qui possède déjà un moulin à papier à Vouvot à deux lieues de Saint-Gingolph. Mais le moulin de Saint-Gingolph va surtout servir de base pour récupérer des quantités importantes de chiffons qui passeront dans le Valais par le lac. Il a à cœur de s'occuper de cette papeterie beaucoup plus que de celle de Saint-Gingolph, qui fabrique d'ailleurs un papier de mauvaise qualité dont les clients se plaignent.
En 1779, la papeterie est en bon état de marche et possède une cuve et 12 maillets. L'arbre à cames fait environ dix mètres de long, et il consomme environ 400 quintaux de chiffons à l'année, ce qui donne une production de 2 500 rames de papier de toutes qualités. La production s'effectue seulement pendant 8 à 9 mois par an, avec 6 ouvriers.
En 1785, le moulin appartient à Charles Emmanuel Derivaz. Il semble alors que Dignat l'a délaissé pour ne s'occuper que de son moulin du Valais. A partir de cette date, les informations manquent. Le moulin, existe toujours, il appartient, en 1847, à MM. Bois frères.
Au moment de l'Annexion, vers 1860, ce moulin à papier va disparaître, à cause de la concurrence des papeteries françaises et surtout de la mauvaise qualité du papier qui y était fabriqué. En raison de sa situation à cheval sur la frontière, il sera un exemple du trafic important des chiffons, matière première très recherchée par les moulins à papier.