De la Chine à la Savoie

Selon la légende, ce serait un général Chinois qui, lors de son repos sous une véranda, remarqua des guêpes qui construisaient leur nid. II observa ainsi les guêpes qui, se posant sur le tronc d'un mûrier proche, grignotaient des fibres de l'écorce de l'arbre, et ensuite allaient les recracher contre le nid en construction. Le nid des guêpes était donc en papier !

Cela lui donna alors l'idée de gratter cette écorce, de la broyer ensuite avec de l'eau, afin d'en faire une pâte qu'il étendit sur une pierre plate au soleil. La première feuille de papier était née...

Et les civilisations du Monde firent un grand bond en avant.

Le Papier en Chine et en Orient

C'est de la lointaine Chine que nous vient cette invention majeure, le papier, comme beaucoup d'inventions qui ont façonné le monde moderne, la poudre à canon dérivée des feux d'artifices, la soie, les pâtes alimentaires, la boussole ou la première machine à calculer, sans oublier l'imprimerie.

Il y a deux siècles, Tsai-Loun, inspecteur des travaux publics, en l'an 105 de notre ère, va normaliser et perfectionner l'art de fabriquer du papier. Il semble bien que d'après les plus récentes découvertes archéologiques les Chinois connaissaient déjà le papier au deuxième siècle avant Jésus-Christ. En effet, des fragments de papier ont été trouvés lors de fouilles en 1974, dans une tombe de la dynastie des Hans de l'Est, papier dit de "Hantanpos", dont la surface collée à l'amidon portait des caractères chinois.

Ces premiers papiers étaient fabriqués avec des écorces d'arbres, des chiffons et des filets de pêche, du chanvre, des jeunes bambous et des morceaux de soie.

Le secret de la fabrication du papier était jalousement gardé. Les mandarins donnaient l'ordre aux ouvriers papetiers de ne pas transmettre les secrets de fabrication à des étrangers, sous peine de punitions sévères, comme les langues coupées.

Mais, en 751 après Jésus Christ, les armées chinoises furent battues dans les environs de Samarcande, aux confins du désert de Gobi, ville importante sur la Route de la Soie et des Épices, par une coalition turco-arabe, dans le cadre de l'expansion des musulmans à l'est, comme à l'ouest, selon la doctrine de Mahomet mort en 632 et enterré à Médine.

Samarcande était une ville propice à la fabrication du papier, dont la qualité était appréciée des Mandarins, grâce à d'importantes cultures locales de chanvre et de lin sur des terres très bien irriguées..

Dans les dernières batailles, des ouvriers papetiers chinois furent faits prisonniers par les Arabes. Ils durent transmettre aux vainqueurs leurs secrets et c'est comme cela que les Arabes firent de Samarcande une ville dans laquelle on va fabriquer un papier de qualité. Ce papier sera vendu dans les pays musulmans de l'Orient et du proche Orient grâce à la route commerciale qui traverse tous ces pays de l'Orient mystérieux vers l'Occident chrétien.

Mais comme les balles de papier sont lourdes à transporter et qu'il y a des milliers de kilomètres à parcourir à dos de chameaux, les Arabes, pour éviter les risques et les frais du transport, construiront des moulins à papier dans les villes vers l'ouest : Chiraz, Bagdad et Damas au vin' siècle, l’Égypte au IXe siècle, patrie du papyrus qui va disparaître progressivement remplacé par le papier. Il est à noter que le mot papier vient du mot papyrus, mais il s'agit bien de deux techniques résolument différentes.

Puis l'art de la fabrication du papier que les Arabes vont perfectionner, arrivera au Maghreb au Xe siècle, en Tunisie à Kerouane, ville sainte au sud de Tunis. Ensuite au Maroc, à Fez la capitale, au XIe siècle où il existait, paraît-il, près de 400 moulins à papier en 1184.

L'Andalousie musulmane accueillera ensuite à Séville et à Cadix, au milieu du XIe siècle, puis à Xativa en 1056, dans la province de Valence, où sont construits les premiers moulins à papier d'Europe. Ce seront surtout les marchands juifs qui fabriqueront le papier et le commercialiseront.

La seconde voie de pénétration du papier en Occident, sera celle de Kerouane, Palerme en Sicile, et Fabriano dans les Apennins, ville située à l'intérieur des terres, pas très loin d'Ancône, ce grand port commercial sur l'Adriatique. Le premier moulin y sera construit au XXIIe siècle, et Fabriano, avec plusieurs moulins, devien¬dra un centre de fabrication très réputé pour la qualité de ses papiers.
Il est certain que le papier pénétra en France par l'Italie plutôt que par l'Espagne, à cause des courants commerciaux établis par les grandes foires annuelles de Champagne aux mi' et xive siècles. La route passe nécessairement par le Piémont Savoyard et la Savoie propre, avec le franchissement du Col du Grand Saint-Bernard.

Le premier moulin à papier sera construit dans le "Vallon Industriel" de l'Abbaye de Tamié, à Faverges, au XIVe siècle, vraisemblablement vers 1328.

L'élément moteur de l'arrivée de cette nouvelle technique en Occident est certainement lié à l'histoire des Croisades. Il est établi qu'à la fin des Croisades, lors des victoires du Sultan Saladin, des chevaliers et gens d'armes chrétiens, faits prisonniers des musulmans, travailleront dans les moulins à papier arabes, notamment à Damas. Les captivités étant souvent très longues, 10, 15 ou 20 ans, certains ont eu largement le temps d'apprendre le métier de papetier, métier inconnu en Occident. Rendus à la liberté, ils apporteront cette technologie avec eux, et en association souvent avec des marchands drapiers aisés disposant des fonds nécessaires, ils pourront construire les premiers moulins.

L'arrivée de cette nouvelle technologie va bouleverser l'Occident.